Refuser tout compromis
Les premières condamnations explicites du Front national remontent à 1985, aux lendemains des élections européennes où le FN atteint 11%. Face aux propos racistes de Jean-Marie Le Pen et à sa volonté de récupérer l'identité chrétienne, de nombreux évêques élèvent la voix. Le premier, Mgr Decourtray, archevêque de Lyon et primat des Gaules, prend position et déclare lors de la cérémonie des Cendres : " Nous en avons assez de voir grandir dans notre pays le mépris, la défiance et l'hostilité contre les immigrés. Nous en avons assez des idéologies qui justifient ces attitudes. (...) Comment donc pourrions nous laisser croire qu'un langage et des théories qui méprisent l'immigré ont la caution de l'Eglise du Christ ? ". (
voir notre animation à partir de la méditation "Jésus ne dit pas" de Mgr Decourtray)
A sa suite de nombreux évêques réagissent : Tours, Evreux, Grenoble, Soissons, Arras, Montpellier, Nice, Amiens, Pontoise, Autun, Bayeux, Nantes, Poitiers. A Paris, Mgr Lustiger dénonce : " La haine du frère dont la peau est d'une autre couleur, la haine du frère dont les cheveux sont différents, la haine du frère qui n'est pas né ici, la haine du frère dont l'accent sonne étrangement ! La haine du frère ? Lui, un enfant de Dieu comme vous ! N'avez-vous pas honte ? Battez-vous pour l'amour ! Ne laissez pas les cris aveugles de la haine et du ressentiment habiter vos coeurs. Chrétiens ! Rappelez-vous ! Vous êtes enfants de Dieu, du même Père. (...) Vous n'êtes pas des loups ! "
Ces prises de position particulièrement explicites vaudront à Mgr Decourtray et Mgr Lustiger de devenir les bêtes noires du leader du Front National. Jean-Marie Le Pen n'hésite pas à faire huer leur nom au cours de ses meetings. En 1996, Il s'en prendra même personnellement à l'archevêque de Paris en faisant allusion aux origines juives du cardinal : " Je n'ai pas besoin de me convertir puisque dès ma naissance, j'ai été baptisé dans une religion que personnellement je n'ai jamais abjuré " déclare-t-il bassement à son encontre.
De 1985 à aujourd'hui, les prises de position des évêques contre le Front National vont se succéder au fil des saisons et des scrutins électoraux, sans interruption. Il faut dire que tout les sépare. Alors que le Front National rejette l'étranger et le suspecte, l'Eglise appelle à l'accueil de l'autre et au souci du plus faible ; quand il déclare l'inégalité des races, elle affirme l'égalité des hommes, tous aimés de Dieu ; lorsqu'il milite pour un repli national, elle cultive le sens de l'universalisme. Contre tout antisémitisme, l'Eglise rappelle la judéité de Jésus, reconnaît le peuple juif comme " peuple aîné " et fait repentance pour son hostilité passée envers lui. Contre tout rejet des musulmans, elle appelle à l'amitié avec les " fils d'Abraham ".
La défense de l'immigré
Face à la stigmatisation des étrangers par le FN, l'Eglise catholique se fait un devoir d'appeler à la solidarité. En 1985, la commission épiscopale des migrations publie le texte " Construire l'avenir avec les immigrés " et rappelle que " la France, dans son passé récent, s'est formée par l'apport d'hommes et de femmes de diverses origines ". En 1988, avec les protestants et les orthodoxes, elle envoie un message d'amitié aux étrangers de France intitulé " L'Amour surmonte les peurs ". En 1992, elle participe à la campagne oecuménique "accueillir l'étranger", campagne qui sera renouvelée en 1995. A chaque fois le message est clair : être disciple du Christ, c'est refuser les discours de haine et se faire le prochain de l'étranger.
Fermeté et mises en garde contre toute récupération
Les affrontements avec le Front national sont parfois directs, notamment quand celui-ci cherche à se positionner comme le héraut des valeurs chrétiennes. Quelques exemples.
En 1992, Mgr Duval, président de la conférence des évêques de France, prend position contre les récupérations de Jean-Marie Le Pen. " Souvent on nous demande pourquoi nous ne soutenons pas un parti qui défend les valeurs chrétiennes. En fait, il ne suffit pas de défendre des valeurs chrétiennes pour être chrétien. Il faut, pour être chrétien, remonter à la source de ces valeurs et accepter les exigences évangéliques dans leur intégralité " écrit-il dans
La Croix, avant de mettre en garde les chrétiens contre " la tentation de se laisser séduire par la défense de certaines valeurs en oubliant de vérifier l'idéologie des courants auxquels ils adhèrent ".
Toujours en 1992, c'est l'archevêque de Reims qui s'oppose cette fois au leader du Front national. Contre Jean-Marie Le Pen et les siens, qui cherchent à transformer l'office dominical en ouverture de meeting, Mgr Balland fait exceptionnellement fermer la cathédrale un dimanche. D'autres affrontements éclatent au cours de 1996. En septembre, la commission épiscopale des migrations fait une déclaration tonitruante : " Quand un homme public ose affirmer comme une vérité l'inégalité des races, il y a un danger pour l'ensemble de la société. (...) Elle est une atteinte à l'identité nationale fondée sur les valeurs acceptées par tous, la liberté, l'égalité, la fraternité. Pour un chrétien ces propos sont inacceptables. "
Une vive polémique s'engage avec le leader du Front national. Elle rebondit avec la révélation de la décision de Mgr Rouet, évêque de Poitiers, de différer le baptême d'un militant du Front-National : " J'ai expliqué à ce candidat au baptême que l'idéologie du Front National était contraire au message du Christ et de l'Eglise. Mais je ne lui ai pas fermé la porte et je l'ai encouragé à réfléchir, afin de choisir entre la foi chrétienne et ses idées politiques " expliquera sereinement ce dernier.
En 1998, à la suite de l'élection de cinq présidents de conseil régionaux avec les voix des élus du Front national, Mgr Billé, président de la Conférence des évêques signe une déclaration inter-religieuse où " les responsables des grands courants religieux en France s'inquiétent de la place désormais prise dans la vie politique française par un parti qui n'a jamais caché ses thèses racistes, xénophobes et antisémites "
Aujourd'hui encore, les évêques appellent à la défense de la démocratie et des valeurs de la République. Ils peuvent déjà être fiers de leur travail. Alertes et conseils ont porté leurs fruits : le vote FN a diminué dans l'électorat catholique. Au dernier sondage Sofrès, seuls 7% des catholiques pratiquants avaient l'intention de voter pour Jean-Marie Le Pen.
A rappeler qu'il y a quelques années les Grand Maitres des obédiences maçonniques ont manifesté au côté des principaux chefs religieux du pays pour la défense des libertés, la laïcité... contre les thèses nauséabondes de l'extrême droite.
Source "blog "Croire".